Maman, j'ai beaucoup de choses à te dire. 
 Ce soir, je suis 
rentrée dans cette grande salle et j'ai dansé. Dansé. Dansé. J'ai dansé à
 m'en écorcher les pieds, j'ai crié à m'en esquinter la gorge. Je n'ai 
plus de voix. Tu te souviens le nombre de fois où je t'ai demandé, les 
mains moites, si tu acceptais de me payer cette place de concert ? Tu as
 fini par dire oui. Alors ce soir, j'ai laissé la musique m'emporter. 
J'étais en transe, maman, tellement c'était dingue. On était tous
 là, collés, criants, suants, des sourires jusqu'aux oreilles. Une joie 
inconnue enveloppait nos corps et la musique nous enchantait. Puis il y a
 eu un "boum". Tu sais, le genre de "boum" qui rompt le charme, qui 
brise le rythme. C'était un son en plus de la musique, qui sonnait un 
peu faux. Tout s'est tu. Les instruments ont cessé de résonner, les cris
 sont devenus muets. J'étais essoufflée, désorientée, je respirais fort.
 Et le "boum" a retenti de plus belle. J'ai entendu des cris perçants, 
comme des appels au secours. Il faisait tellement chaud et pourtant, on 
avait si froid. Les boums sont devenus de plus en plus rapides, ils 
s'enchaînaient... Alors on s'est couchés. Le sol semblait trembler mais 
c'était nous, qui tremblions. Et les coups de canon ne s'arrêtaient pas 
de chanter. C'était un autre concert, des autres notes et les seules 
paroles audibles n'étaient que des râles agonisants, des plaintes 
affreuses. Maman j'aimais la musique, mais pas celle-ci... Et je crois 
qu'ils l'ont compris. Moi, au contraire, je n'ai pas eu le temps de 
comprendre. Ils m'ont tué maman. Ils ont fait chanter leurs balles 
contre moi pour la simple et bonne raison que j'étais là, au mauvais 
endroit. Le mauvais soir. Ils m'ont tué et je n'entendrai plus jamais la
 musique. 
 128 autres personnes n'entendront plus jamais la musique. 
 Maman, ce soir, je viens te dire que mes notes se sont tues mais que la chanson continue.
  
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